rendez vous au bar

Les mains dans les poches, je sifflote un air de Jazz que Ty a joué à la guitare l’autre soir. Je marche vers le vieux carré français avec une idée bien précise dans la tête : boire un verre avec Vanilla. J’avais rencontré la brunette peu de temps après mon arrivée, il y a de ça plusieurs semaines. Elle m’avait abordé…Me reconnaissant. Pourtant c’pas que je suis une vedette hein, certes j’ai une gueule aussi jolie que celle de Brad Pitt, le salaire en moins. Elle pensait rencontrer un fin écrivain, elle avait mis la main sur mon stock universitaire, à l’époque j’y mettais de l’effort. La pauvre, elle avait plutôt rencontré un homme paumé et sans illusions divines. Il n’empêche que je la trouvais pleine de vie…Elle me rappelait les quelques instants où, moi aussi, j’avais des idées de grandeurs…Depuis, la désinvolture avait pris le dessus et je me contentais de ma rubrique nécrologique. J’atteins les rues du vieux quartier, tentant de me situer. C’était la première fois que j’allais mettre les pieds au Razzoo…Fallait bien une femme pour me tirer dans un endroit avec un nom pareil. Elle m’avait dit au téléphone que ce serait un petit bar sympathique, mais j’avais la vague impression que ça tirait plus sur un repère de jeunes en chaleur et de blondes mineures si vous voulez mon humble avis. Mes baskets me mènent bien vite à la porte d’entrée, j’envoie un coup de tête sec au doorman qui me laisse passer sans me demander mes cartes, en même temps, je ne m’étais pas rasé et je les faisais mes 28 ans. Je passe la porte, observe les lieux. La musique était gaie, pas du tout mon style, l’endroit était vivant, pas du tout mon genre, les gens dansaient et buvaient en jasant : not my style. Je hausse les épaules et me dirige vers le bar. Je m’y assois et fait signe au barman « une Guinness brune. ». La seule chose qui allait être bien ce soir, ce serait ma bière et le sourire de Vanille. Non pas que je fasse dans les clichés ou que je sois du genre pro bon gars protecteur…Juste que…Bah, voilà…Elle était sympathique. C’est tout. Bref. Le barman dépose ma bière devant moi dans un buck traditionnel, je lui remet son dû et approche le grand verre près de ma bouche pour en avaler une bonne gorgée. Ma main libre pianote doucement contre le comptoir, alors que je me rends compte que la petite est en retard. Pour une fois que ce n’était pas moi. Je me divertie donc en détaillant du regard la blonde à deux bancs de moi…On fait avec ce que l’on a… Ça, c’est jusqu’à ce qu’une ombre vienne me barrer la vue en s’asseyant à mes côtés. Hé Ho, y’a plus aucune civilité dans ce bas monde? L’ombre en question vient plaquer ses lèvres contre ma joue et je réalise alors que c’est ma veuve favorite – gore – qui vient d’arriver. Un petit sourire subtil pointe le bout de son nez sur mon visage. « Bonsoir toi ! J'espère que tu vas bien? » Elle était probablement l’une des seules femmes de ce monde qui voulait réellement connaître la réponse. « Bonsoir l’amie » dis-je de ma voix semi éveillée. Je la détaille du regard et mon sourire s’élargit malgré moi. C’est à mon tour d’approcher mes lèvres de son visage. Je dépose mes lèvres sur sa joue droite et la serre légèrement contre moi comme salutation. Je reprends ma place initiale et attrape de nouveau ma bière, une gorgée de plus, ça fait jamais de mal à un homme. « Ça peut aller…y’avait presque pas de morts ce matin. » Je faisais référence à mon boulot minable. Je hausse les épaules, désinvolte et j’évite de lui renvoyer la question. On n’allait pas bien quand on perdait l’amour de sa vie et toutes ses conneries. Pas que ce soit des conneries pour elle hein…Juste que je n’étais pas programmé pour parler fiancé décédé. J’étais plutôt programmé pour lui payer un verre et lui faire passer une soirée digne de la nouvelle-Orléans. « T’veux boire quoi, la p’tite? » Je sautais une syllabe sur deux, je surnommais les gens : bonjour le prince charmant. Not.  

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rendez vous au bar

Face à ma plaisanterie sur mon job, elle lève le pouce et me répond « Très glauque notre conversation, comme toujours ! ». En effet, dès qu’on parlait de mon travail, on parlait nécessairement de mort. Je pouvais comprendre que ça en laissant plus d’un de glace, mais personnellement, un mort c’est un mort. À chaque jour, j’imaginais les vies de chacune de mes victimes et à ma façon, je leur rendais un dernier hommage en écrivant quelques lignes pour la plupart demandées par les familles. Certaines vies étaient plus tristes que d’autres, mais en général, ils avaient tous quelqu’un qui leur disait au revoir, c’était un signe de réussite, je présume. Enfin bref, les morts faisaient partie de ma vie, glauque, je l’étais sans doute un peu. Je souris en haussant les épaules « Ce n’est pas ma faute si mon travail est déprimant. » En fait…Oui, c’est ma faute, mais nous n’étions pas obligés d’approfondir là-dessus. Je change de sujet, lui demandant ce qu’elle voulait boire. Je n’étais peut-être pas le plus doué avec les relations humaines, mais payer un verre, ça c’était dans mes grandes capacités d’homme. C’est autour de la petite brunette de hausser les épaules, nous voilà bien un point en commun. « Je veux bien une Faro si possible. » Je souris : les femmes qui boivent de la bière, ça m’a toujours plu. « Une Faro ce sera pour la p’tite! ». Je lève deux doigts vers le barman et lui fait un petit signe de la tête. Il revient vers moi en me saluant « Une faro, c’est possible? » pour reprendre les termes de la brunette…Non pas que je la narguais un peu. Il me répond que oui et s’en va chercher la bière en question. Je tourne la tête vers Vanilla et lui fait remarquer « Tu vois jolie donzelle, tout est possible! ». Je me trouvais parfois hilarant. En attendant le breuvage alcoolisé de ma jeune amie, je me permets de commenter l’endroit « By the way, cet endroit est beaucoup trop jeune pour moi. » C’était à peine si on s’entendait parler avec cette musique de jeunes filles en chaleur. Je lui envoie un petit sourire amusé et un clin d’œil pour lui faire comprendre que je ne lui en tenais pas rigueur. « Sinon la p’tite, qu’est-ce que tu fais de bon ces temps-ci? » Cette fois, c’est moi qui ne voulais pas se faire renvoyer la question. Je ne faisais pas grand-chose de ma peau, il faut le souligner. Elle me répond vaguement et sa bière est déposée sur le comptoir par le barman, je paie et avance la bière vers les mains de Vanilla. Je prends mon propre buck de bière et le soulève en direction de la brunette pour un petit « toast » amical « Buvons sans raison ! » Quelle meilleure raison que de ne pas en avoir après tout? On se fou de notre foie, on ne possède qu’une seule vie (et qu’un seul foie me direz-vous). Je porte le liquide brunâtre à ma bouche et en avale une bonne rasade avant de déposer le verre sur le comptoir…Ce que ça pouvait faire du bien… Je n'étais peut-être pas un prince charmant, mais je savais comment faire taire un coeur qui pleure : beaucoup de bière et de mauvaises blagues.

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