C'est quoi, la chance ?!

is there anybody else ?

Je secouai mon portable dans tous les sens. Rien à faire. Il restait désespérément éteint. Imperméable à toutes mes tentatives. Je n'avais plus le choix. J'étais condamnée à sortir de chez moi. Enfin de chez mon frère, alors que je n'aspirais qu'à rester enfermée. Seule et tranquille. Sans aucune agression extérieure. Sans avoir peur du moindre bruit de pas derrière moi. A la maison, je me sentais en sécurité. Dans un lieu où personne ne savait que j'étais. Personne, à part ceux en qui je pouvais avoir confiance. Mes quelques amis, triés sur le volet, et ma famille. Il ne pouvait rien m'arriver. Je me sentais invincible. Mais c'était différent quand je me risquais à mettre le nez dehors, à la vue de tous. Mais je n'avais pas le choix cette fois. J'avais besoin de mon portable, ne serait-ce que pour prendre contact avec mes collègues et ma chef. J'allais bien finir par recommencer à travailler. Je ne pouvais pas être éternellement en congé. Et pour ma famille et mes amis. Je me pris en main, quittant le canapé pour enfiler des chaussures. J'oubliais la case maquillage. Je me foutais de ne pas être assez jolie. Je n'avais pas envie de plaire. A personne.

Les rues que je traversais me semblaient hostiles. J'avais l'impression d'être toujours observée. J'avais peur de croiser un ami de Matty. Quelqu'un qui me reconnaîtrait. Quelqu'un qui lui dirait que j'étais encore là. Que je n'étais pas partie loin. Qu'il pouvait encore me trouver. Je ne voulais surtout pas qu'il puisse mettre la main sur moi. J'avais enfilé un gros sweat, aux antipodes de ce que je portais habituellement. Impossible de me reconnaître de dos ainsi. C'était une protection mince, mais elle me rassurait un peu. Ma démarche était nerveuse. Je regardais sans arrêt autour de moi. Mais rien a signaler. J'entrai dans le Virgin. Peu de chance de croiser Matty ici, il était un peu allergique à la technologie. Les smartphones le laissaient de marbre. Son vieux portable ne servait qu'à recevoir des appels et envoyer des textos. Il n'était plus en vente depuis un moment en boutique. Je soufflai. J'étais plus à l'aise ici que dans la rue. Moin exposée au potentiel danger de le recroiser. Je n'avais aucune idée de comment il avait réagi en voyant que j'étais partie. Et je ne voulais pas le savoir. Je m'insérer dans la queue au comptoir téléphonie. Comme toujours, il y avait un monde fou, et pas assez de personnel. Et je ne pouvais même pas m'occuper en jouant sur mon portable. Je regardai autour de moi, les produits et les gens, les yeux un peu dans le vague.

© one more time.

Jour de pointe, heure de pointe, les ados pré-pubère en quête de leur premier téléphone, les mamies incultes de toutes technologies, les hommes d'affaire pressés... Chez Virgin Mobil on jonglait entre tout ça, un peu maladroitement. Le téléphone n'arrêtait pas de sonner. Alors que Thomas était en train de taper le formulaire d'achat pour ce type il tendit le bras pour répondre. Le client soupira très, très longuement. Il patientait depuis déjà une heure. Thomas leva la main pour assurer que ça ne serait pas long. Virgin Mobil, ouais ? Pas très formel comme entrée en matière mais bon. Là il était crevé alors que la moitié de la journée n'était pas passé. Hmmhmm.. Dit-il au bout d'un moment à écouter son interlocuteur se plaindre que tout son forfait internet était épuisé alors qu'il avait choisi l'option internet illimité. Peut-être que vous n'avez pas activé le changement de forfait avant le renouvellement.. Dit-il tout en levant les yeux au ciel. Vous savez quoi ? Je vais aller vérifier. Oui, oui, ne quittez pas. Et là il adressa un sourire désolé au client de chair et d'os qui se trouvait devant lui et se leva. Il n'allait évidemment pas du tout vérifier mais se rendait plutôt dans l'arrière-boutique pour le moment déserte. Parfait. Il s'assit sur une pile de carton de livraison et sortit de la poche de sa veste à capuche son paquet de cigarette. Il en mit une dans la bouche et commença à fumer. Oh ça ne le dérangeait pas du tout de laisser tout le monde en plan. Ni même de fumer à l'intérieur. Il avait désactivé les détecteurs de fumée il y a quelques semaines histoire d'être tranquille. Une fois son amie la clope longuement consumée il l'éteignit contre un mur et essaya de la dissimuler dans un coin et au moment où il quittait l'arrière-boutique il tomba sur son collègue. Ce dernier respira profondément et se rendit bien compte que ça sentait la cigarette. Mais il était habitué à l'attitude peu professionnelle de Thomas. Il était toujours comme ça et franchement il avait fait bien pire que de se planquer pour fumer. Et puis, tant que ce n'était que des cigarettes, pas de quoi paniquer ! L'air de rien alors, Thomas rejoignit son poste et finit avec le précédent client qui semblait vraiment péter des plombs. Une fois qu'il partit Thomas le suivit du regard, mauvais. Et puis il secoua la tête. Pauvre type, s'il n'était pas capable de faire une petite file d'attente pour son téléphone, qu'il s'en achète un vieux qui ne tombera jamais en panne. Enfin.. Thomas se concentra sur la prochaine cliente. Tiens donc ! Dit-il à voix haute le tout accompagné d'un sourire cynique. Car oui, face à lui se trouvait Missy. Cette fille était une amie depuis quelques temps, pas mal de temps en fait. Enfin, si on pouvait parler d'amie. Elle était la copine d'un du groupe et donc elle squattait. Enfin, ex-copine. L'histoire entre les deux s'était terminée de marnière un peu trouble. Matt n'avait pas réellement eu envie de s'appesantir là-dessus. De toute façon, pour Thomas ça n'avait pas été une énorme perte. D'accord, elle n'était pas méchante mais elle devenait chiante à la fin. Elle pleurnichait et se plaignait, elle faisait passer Matty pour un fou dangereux... Sans doute pour se rendre intéressante aux yeux de Tim ! Ca n'étonnerait même pas le tatoué si vous voulez mon avis. Quoi qu'il en soit, il avait décidé de rester dans la "team Matty" après la rupture et c'est donc avec un humour carrément déplacé qu'il balança : Tu viens retirer Matt' de tes numéros illimités ? Il eut un petit sourire. D'accord, c'était vraiment déplacé mais que voulez-vous ? Les pleureuses, ça donnait des boutons à Thomas. Il détestait que les nanas fassent des histoires. Il avait supporté Nikkie faire des histoires avec Cole pendant toute sa vie et franchement ça n'avait pas été de la tarte. Alors Thomas, en grand misanthrope qu'il était se contentait de balancer ce genre de chose. Enfin je dis ça, il a sûrement déjà bloqué ton numéro, t'es du genre harceleuse après une rupture toi, non? Pas sympa, vraiment pas sympa. Mais c'est vrai quoi, Thomas l'imaginait bien appeler Matt le soir en pleurant et lui pourrir la vie. Et il savait que son pote était du genre impulsif, si Missy continuait de l'appeler, ça pourrait carrément le mettre hors de lui. Alors qui sait ? Thomas fit un grand sourire plein d'ironie à sa cliente, attendant qu'elle dise simplement la raison de sa venue. La vraie raison j'entend. Parce que c'était soit un problème de téléphone soit elle venait aux nouvelles et essayeraient de chopper deux trois informations en parlant à Thomas..

is there anybody else ?

La queue avançait. Petit à petit. C'était toujours la même histoire dans ce genre de boutique. On venait y passer un temps fou. Pas le choix. Il n'y avait jamais assez de conseiller. Ou toujours trop de clients. Ca ne me gênait pas de patienter. Rien ne m'attendait ailleurs. La maison était vide, mon frère étant au travail. Ca me faisait du bien, de voir que le monde continuait à tourner alors que j'étais complètement figée. Je n'évoluais plus. J'attendais, cachée dans la vie rassurante de mon frère. Il avait été mon échappatoire. Et il continuait de s'occuper inlassablement de moi. Je m'en voulais, de lui imposer ça. Mais j'étais trop effrayée pour aller ailleurs. J'avais trop peur qu'il me retrouve. Peur de sa réaction. Peur de Matty. Celui pour qui j'avais tout donné puis tout repris. Ma vie n'était pas destinée à être un conte de fées. Il fallait bien que chacun connaisse son lot de malheur. Il avait été le mien.

Comme si la mort de mon portable ne suffisait pas, je me retrouvai face à Thomas. Un ami de Matty. Mon sourire poli s'effaça immédiatement. Ce mec avait un problème avec moi. Il ne me supportait pas et il adorait mon ex. Celui-là même qui m'avait blessée. Qui avait brisé ma joie de vivre et mes sourires. Je ne savais pas grand chose de lui finalement, sinon qu'il me détestait. Probablement tout autant que Matty devait le faire. Je lui servis mon plus beau sourire ironique. Il me hérissait les poils. Je n'avais pas envie d'entendre parler de ce type qui m'avait servi de petit ami. J'évitais le sujet avec tout le monde depuis un moment. « Tu parles, il sait à peine se servir d'un téléphone, il ne saurait même pas comment me répondre si j'avais envie de lui parler... Ce qui ne risque pas d'arriver. » L'allergie de Matty à la technologie m'avait beaucoup amusée, au début. J'exagérais un peu, évidemment, il était capable de répondre au téléphone. Il était également capable d'appeler. J'en avais subi les conséquences. Combien de fois m'avait il harcelée car j'avais fini un peu tard au boulot et qu'il me soupçonnait d'être avec un autre. Il avait été capable d'exercer une pression terrible sur moi, même de portable à portable. Mais j'avais changé de numéro dès que j'avais fui. Ainsi, aucun risque qu'il m'appelle. Je sortis mon téléphone de ma poche et le glissai sur le comptoir. « Je viens pour ça. Il ne s'allume plus. » Je désignais mon téléphone du doigt. Je n'avais aucune envie de discuter de ma vie, encore moins avec Thomas.