Il y avait des jours comme ça, où je me réveillais avec le blues. Avec un sentiment d’oppression, comme si quelqu’un était en train d’appuyer fortement sur ma gorge, et m’empêchait de respirer. Comme si mon oesophage se rétractait à l’intérieur de moi, et que l’air ne passait plus. Les alvéoles pulmonaires déséchées et rabougries. Ces matins là, je me réveillais en nage, en sueur, le coeur qui battait à tout rompre dans ma poitrine, et Luke me manquait. Il me manquait atrocement. Il était vrai que, lorsqu’il était parti à la Nouvelle-Orléans, quand j’avais tout juste seize ans, et lui dix-huit, lui et moi savions que quelque part, ça allait nous éloigner (sans mauvais jeu de mot) : nous savions tous deux que ce ne serait jamais vraiment comme avant, et qu’il allait falloir apprendre à composer autrement avec cette amitié dont ni lui, ni moi, ne voulions jamais nous détacher. Bien sûr que je savais que Luke rencontrerai de nouvelles personnes à la Nouvelle-Orléans, et se ferait de nouveaux amis, et qu’il n’aurait plus autant de temps pour la country girl que j’étais, la gamine qu’il connaissait depuis qu’il était lui même un gamin, et avec qui il avait grandi. Pourtant, on avait réussi à faire marcher tout ça. Il n’y avait pas une semaine où il ne m’appelait pas, où je ne l’appelais pas. Pas une seule semaine sans un mot échangé. On ne se voyait plus, mais on s’aimait quand même tous les deux. Et maintenant qu’il était mort, je me retrouvais avec un vide, un trou au milieu de ma poitrine, que je tentais désespérément de masquer, de camoufler. Pas de remplir, parce que je ne voulais pas remplacer Luke. Je voulais juste apprendre à vivre avec sa disparition, comme j’avais appris à vivre avec le jeune homme à dix heures de routes de moi. Mais ce n’était pas toujours facile. Et quand je sentais que la tache devenait trop difficile, que ça me pesait trop, je savais que je pouvais aller me réfugier chez Tim et Anaëlle. Je pense qu’ils étaient sans doute les personnes qui le connaissaient le plus, ici à la Nouvelle Orléans. J’avais été surprise qu’ils me connaissent aussi, d’ailleurs. Le jour de l’enterrement, quand ils étaient tous venus, ses amis d’ici, ses seuls amis. Même ses parents n’avaient pas voulu faire le déplacement. Je les avais appelé, bien entendu. Ils n’avaient rien dit. Ils se rangeaient à l’avis de la larve qui me servait de père : ça faisait un pédé de moins sur la terre. J’avais senti pourtant de l’émotion, dans la voix du père de Luke. Je soupçonnais qu’il connaissait déjà les tendances sexuelles de son fils, bien avant que le jeune homme ne défie sa famille en assumant pleinement, et en faisant ses bagages pour filer en Louisiane. Je soupçonnais le père du jeune homme, le vieux monsieur qui me laissait monter Oscar quand je le souhaitais, d’aimer tendrement son fils, mais pas au point d’accepter publiquement ce qui, dans une petite communauté puritaine comme celle de Checotah, était inacceptable. Alors personne n’était venu, sauf moi. Moi qui avait organisé l’enterrement toute seule, et qui avait découvert, ce jour là, combien il était aimé, et combien il avait pu être heureux pendant six ans. Et qu’il n’avait pas non plus oublié sa sweet country girl de l’Oklahoma. Ils en savaient, sur moi, les deux Prescott. Je crois que je leur serais éternellement reconnaissante d’avoir été là, pour son enterrement, et de ne pas l’avoir laissé tombé.
J’avais laissé la voiture de Luke au garage. Il faisait beau, et le soleil chauffait mes cuisses dénudées par le short que je portais. Mes bottes de cowboy foulaient l’asphalte, et ma tête était protégée par mon chapeau, dont je ne me séparais pour ainsi dire jamais. Mon débardeur blanc me collait à la peau, et la chemise ouverte que je portais par dessus laissait la liberté au vent de s’y engouffrer, apportant un peu de fraicheur : c’est qu’il faisait particulièrement lourd, aujourd’hui. Ça me rappelait les jours qui précédaient les gros orages à Checotah. J’avais toujours adoré ça. Le ciel zébré d’éclairs, et le tonnerre qui rugissait. C’était beau, c’était puissant. Mais ici, à la Nouvelle Orléans, les orages étaient moins fréquent. Les inondations, par contre... (il faut dire qu’au milieu des champs de l’Oklahoma, pour qu’il y ait une inondation..) Mais je m’égarais dans mes pensées, et avec tout ça, j’avais manqué de traverser au rouge ! Se faire renverser par le Streetcar, ce n’était peut être pas l’idée du siècle : je venais tout juste de commencer à vivre, et je n’avais pas vraiment envie d’être fauchée dans la fleur de l’âge.
Anaëlle habitait dans le quartier de l’Irish Channel, et c’était un endroit où j’adorais me rendre : j’y entendais tellement d’accent différents, moi qui n’avait jamais entendu que celui des gens de Checotah, c’était un régal pour mes oreilles et pour ma curiosité chaque fois que j’entrais ici, comme si j'atterrissais dans un univers parallèle ou, Anaëlle m’ayant familiarisée avec cette notion, la quatrième dimension. Cependant, je ne flânais pas, aujourd’hui. Je ne m’attardais pas plus que ça. Au retour, peut-être oui. Mais pas là. J’avais envie, besoin de voir la jeune femme. Pour parler, juste... parler. L’écouter me raconter les théories complexes et pourtant captivantes qu’elle avait lu dans telle revue scientifique dont je n’avais jamais entendu parler, et à laquelle je ne comprendrais rien si je la lisais. Ce n’était pas que j’étais stupide, c’était juste que je ne m’étais jamais intéressée à tout ça, et que je n’avais pas les bases nécessaires à l’apprentissage et la compréhension de tout ce qu’elle pouvait bien me raconter. Mais je restais fascinée par sa voix, et la passion qu’elle mettait dans ses gestes quand elle se lançait dans de longues tirades sur... la théorie du multivers, par exemple. Je montais les marches qui menaient au perron de la maison Prescott, et sonnais à la porte. Deux fois, comme j’avais l’habitude de le faire. Je tendis l’oreille, guettant le pas lourd de Tim dans les escaliers, ou le bruissement que produisait Anaëlle quand elle descendait les escaliers (diamétralement opposés). Ni l’un, ni l’autre. La porte s’ouvrit sur un visage, qui ne me semblait pas beaucoup plus vieux que je ne l’étais moi-même, et qui m’était totalement inconnu. Je reculais, pour vérifier que je ne m’étais pas trompée de maison. «Bonjour ! Je suis Joy, une amie d’Anaëlle !» lançais-je avec mon entrain habituel. Et de Tim. «Est-ce qu’elle est là ?» La curiosité me brûlait les lèvres : j’avais cette fâcheuse habitude de toujours m’enquérir du prénom des inconnus, habitude contre laquelle je bataillais intérieurement car ça ne se faisait pas.
Murchadh D. MacGregor
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Sujet: Re: la fascination de la naïveté + (Murchadh) Mar 18 Juin - 7:52
Sunday, June 16th
Étalé sur le canapé, un léger ronflement s'échappant de ses lèvres, Murchadh dort profondément. L'arrivée en pleine nuit avait été agitée, il avait rejoint le pays des songes excessivement tard en abandonnant son fils au confort d'un lit. Il n'avait pris que le temps d'ôter son tee-shirt avant de s'allonger, et était, à cette heure où la ville s'éveillait, dans une position improbable. Le bras pendant dans le vide, un pied sur le sol, il a pourtant l'air de passer une bonne nuit. Le temps que ça dure, du moins. Les années à vivre en extérieur et à apprendre à se méfier de tout – même sans forcément mettre un pied en Australie, n'est-ce pas Anaëlle – vous rendent plus alerte, et vous force à adopter un sommeil léger. Le premier bruit de porte, à l'étage, fait froncer ses sourcils, et se répercute dans le rêve qu'il fait. Les pas lourds dans l'escalier achèvent de le sortir du pays des songes et il se redresse d'un coup, comme monté sur ressorts. Il met une seconde à remettre l'environnement non familier, puis passe une main sur son visage. Hmng. Combien de temps avait-il dormi ? Il n'a pas tellement le temps de chercher une réponse à sa question que quelqu'un arrive dans le salon et remarque immédiatement la tête surmontée de cheveux en bataille qui dépasse du dossier du canapé. Le patriarche s'approche alors du jeune homme. « Ye must be Murchadh, my wife's former student ?1 » demande-t-il pour la forme, d'un ton bourru mais tout de même plein d'entrain. Le jeune homme se lève rapidement et serre la main du père avec un sourire, d'une poigne ferme, tout en confirmant. C'est tout juste si le globe-trotter ne s'attend pas à prendre une tape amicale dans l'épaule, mais il n'en fait rien et lui proposé un café. Murchadh bâille, passe une nouvelle fois la main sur son visage et se laisse servir, pas encore assez à l'aise pour prendre ses marques. La conversation se noue très vite avec le père et les deux écossais rivalisent d'humour douteux et d'accents à couper au couteau. C'est ainsi que peu de temps après être arrivé, le jeune homme se voit proposer un boulot, à la fabrique de bourbon du paternel. Hm. Le bourbon, ce n'était pas du whisky. Mais bon, les Américains ne pouvaient connaître le goût exquis de la tourbe non plus, et devraient se contenter du maïs. Curieux et ne pouvant pas vraiment se permettre de laisser passer une opportunité du genre, le globe-trotter accepte... Et reçoit cette tape amicale dans l'épaule pressentie plus tôt. « I see ye've begun to get to ken each other...2 » commente une voix familière. Le jeune homme se redresse et sourit spontanément à son ancienne enseignante. « Welcome here, young man. Make yourself at home, hm ? This includes access to the bathroom.3 » Un rire s'échappe des lèvres des deux hommes face à la plaisanterie plus subtile de la mère de famille.
La journée se déroule sans heurt. C'est un autre homme qui sort de la salle de bain, la barbe correctement taillée, les cheveux toujours dans une coupe hasardeuse, mais sans trace de cambouis, avec le teint frais et reposé – malgré la courte nuit. Et surtout, il était habillé, maintenant, avec une chemise sur le dos. Il va réveiller son petit en fin de matinée, le laisse prendre ses marques, et va chercher ses affaires dans le combi. Les adolescents se lèvent aussi, la maison trouve son rythme habituel. Les parents décident de sortir profiter du soleil, Eoghan va vivre sa vie de jeune adulte Murchadh ne sait trop où. Anaëlle semble très occupée dans son coin. Et pour Keith, c'est l'heure de la leçon. Manuel ouvert sur la table, le jeune père fait lire le garçon, lui fait travailler sa lecture. Et après, on passe aux mathématiques, puis au gaélique. Il ne relève le nez qu'en entendant Anaëlle descendre les escaliers. Elle parle d'une course à faire, et s'enfuit, les laissant ainsi seuls dans la maison. Et la leçon se poursuit encore un peu... « Do concentrate, Keith, and read again tae tell me which parts are the different steps of the narration.4 » Le petit Écossais hoche la tête et relit... Quand on sonne à la porte. Murchadh lève la tête, fronce les sourcils. Hm. Il laisse son fils reprendre son exercice et se dirige vers la porte, qu'il ouvre sans plus de méfiance, avec son teint sombre et son mètre quatre-vingt-cinq. Une petite blondinette se tenait devant lui, et ne tarda pas à se présenter. Elle cherchait... Anaëlle. Le jeune homme a un moment de flottement – qui ? –, n'ayant pas vraiment la mémoire des prénoms, avant de faire le lien avec la seule jeune fille qui vivait ici. « She's nae herrre at the moment.5 » fait-il en passant une main sur sa nuque. « Ye can come inside, I guess, and be waiting for her.6 » propose-t-il finalement, avant de s'écarter pour la laisser passer. Le gamin, curieux, n'a déjà plus les yeux rivés sur son travail, cherchant à voir qui était la personne qui venait ainsi à l'improviste. Et il lui fait un grand sourire, avec un grand signe de la main, en guise de bonjour. __________________________
1Tu dois être Murchadh, l'ancien étudiant de ma femme ? 2Je vois que vous avez commencé à faire connaissance... 3Bienvenu, jeune homme. Tu fais comme chez toi, hein ? Cela comprend l'accès à la salle de bain. 4Concentre toi, Keith, et lis à nouveau pour me dire quelles parties du texte correspondent à quelle étape de la narration. 5Elle n'est pas là pour le moment. 6Tu peux entrer, je pense, et l'attendre.
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Sujet: Re: la fascination de la naïveté + (Murchadh) Dim 23 Juin - 14:48
Je comptais mentalement les secondes qui s’écoulaient entre le moment où je sonnais à la porte, et le moment où celle-ci s’ouvrit. Un Mississippi. Deux Mississippi. Trois Mississippi. Et ainsi de suite. J’eus un moment de flottement, tout de même, à vrai dire, lorsque la porte fut ouvert, totalement, sur un visage totalement inconnu. Mais je ne m’en formalisais pas trop. Voire même pas du tout. J’étais de ces gens naïf qui peuplaient encore notre territoire, et qui ne s’étonnaient pas de voir un étranger répondre à la porte. Il faut dire que Checotah, c’était un peu comme le Canada (ça c’est gratuit Ty), c’était une ambiance plutôt... paisible. Pas de tueurs en série (bien qu’au Canada, il y avait bien eu cette histoire d’acteur porno gay qui avait découpé un chinois, ou quelque chose comme ça), les portes n’étaient pas fermées à clef, on entrait chez son voisin sans même frapper à la porte (enfin, façon de parler, on ne voulait pas tomber au mauvais moment), les gens se faisaient confiance, et j’avais même déjà vu mon voisin laisser ses clefs sur le contact, «au cas où» quelqu’un aurait besoin de sa voiture pour une course rapide dans la ville d’à côté. Bref, vous voyez le genre. Imaginez ça avec l’accent du Sud des Etats-Unis (pour ceux qui ne sont pas très doués en géographie -Anaëlle-, l’Oklahoma, c’est juste au dessus du Texas, et c’est bordé par le Missouri, l’Arkansas, le Kansas (et c’est là que mon prénom, Dorothy, prend tout son sens...), le Nouveau-Mexique et le Colorado), maltraité par une bouche pleine de tabac à chiquer, un peu de terre, et des bottes de cowboy qui foulent le plancher du bar de la ville, qui s’appelle encore un saloon, et vous avez une parfaite vision du patelin dans lequel je suis née, dans lequel j’ai grandit, et que j’ai quitté pour la première fois de ma vie en janvier de cette année. Bref, je crois que je me suis un peu perdue dans mes pensées, là... «She’s nae herre at the moment.» Je me mordis l’intérieur de la joue pour retenir le sourire qui menaçait de naître sur mes lèvres. J’avais été un brin... surprise (disons ça comme ça, pour ne pas s’embarrasser à chercher un mot plus précis) la première fois que j’avais entendu l’accent d’Anaëlle (il faut dire que j’avais grandit avec une seule mélodie dans les oreilles, et ce n’était pas l’accent écossais de la brune), mais là, l’accent de l’inconnu était encore plus... plus... marqué. «Ye can come inside, I guess, and be waiting for her.» Il s’effaça un brin, me laissant la place de me glisser à l’intérieur (oh, de toute façon, je n’prenais pas beaucoup de place hein). «Merci, c’est gentil.»
Une fois glissée à l’intérieur de la maison, je laissais mes yeux dériver, comme à chaque fois, sur l’intérieur parfaitement décoré de la bâtisse. C’était juste... tellement différent de «chez moi». De la maison familiale à Checotah. C’était... beau, clair, net, et vivant. La différence entre house et home. J’eus un mouvement de surprise en croisant le regard d’un petit garçon rivé sur moi, grand sourire aux lèvres, agitant la main, visiblement ravi de voir un autre être humain dans la maison. Je lui rendis son sourire, un peu timidement, agitant discrètement la main en guise de réponse. Je n’étais pas très à l’aise avec les enfants-humains (oui, il est important de préciser la partie «humain», parce qu’inversement, je me débrouille très bien avec les bébés animaux). C’est sans doute le fait d’être la petite dernière d’une fratrie, ou bien le fait d’être un accident. «Vous êtes un ami de Tim ?» demandais-je en me tournant vers le jeune homme. Oui, il n’avait pas l’air très vieux... Un peu trop peut être pour être un proche d’Anaëlle, en revanche (qui n’était pas bien vieille, nous en conviendrons). «Vous êtes écossais, également, n’est-ce pas ?» Je me mordis l’intérieur de la joue, espérant ne pas m’être plantée misérablement : Anaëlle avait eu tôt fait de m’expliquer pourquoi les Ecossais et les Irlandais n’aimaient pas du tout être appelé des anglais (c’est que, vous comprenez, la plupart des Américains sont un peu idiots, et ils ont une vision très... simpliste... des choses...), et depuis je m’étais empressée de tourner ma langue trois fois dans ma bouche avant de faire des suppositions à voix haute sur la nationalité des personnes que je croisais (bien qu’il était assez facile de reconnaître les anglais, à leur façon dédaigneuse d’ignorer tous les r -ou presque- dans les mots).
Murchadh D. MacGregor
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Sujet: Re: la fascination de la naïveté + (Murchadh) Jeu 4 Juil - 7:33
S'il y a une chose que les Écossais n'ignorent pas dans leur façon de parler, c'est bien les r. Pas de la façon grotesque des Américains, avec leur appui sur la gorge, ni à celle hautaine des anglais, qui les survolent à peine. Non, c'est avec noblesse que la langue roule contre la palais, pour laisser la voix teinter de cet accent du nord. Et parfois, c'est avec un son guttural qu'ils expriment cette consonne si particulière, dans une déformation ancestrale leur venant tout droit du gaélique. L'accent de Murchadh avait cet avantage qu'on se risquait rarement à le qualifier d'anglais. Il faut aussi dire qu'il était aussi éloigné que possible de l'image qu'on pourrait se faire d'un sujet de Sa Majesté : le teint hâlé de celui qui passe sa vie au soleil, cette propension à grogner pour un rien, ces particularités lexicales venues d'un autre monde – et que les Américains ne comprenaient pas toujours – accompagnées de bizarreries grammaticales bien senties, le tout réhaussé par un accent qui était on ne peut plus éloigné de l'upper-class du fils de bonne famille. La jeune fille, dont il avait déjà oublié le prénom, ne se fait pas prier pour entrer, et le jeune homme referme calmement la porte derrière elle, la suivant du regard. Son accent à elle n'était pas celui d'ici, bien que ce soit un accent du sud. Incapable de vraiment situer ses origines, il s'apprêtait à demander, sans aucune pudeur, d'où elle venait – que voulez-vous, on ne vit pas coupé de la civilisation pendant des années grâce aux bonnes manières – mais se fait prendre de court. Un sourcil se lève sur son visage, comme s'il était surpris par la franchise d'esprit, l'ouverture dont elle faisait preuve pour faire connaissance. À moins que ça ne soit que pour patienter ? « Tim? » répète-t-il en fronçant les sourcils cette fois, cherchant, creusant pour retrouver le visage qui collerait au nom. Ce sera la logique qui viendra à son secours : il n'y avait qu'un jeune garçon d'à peu près son âge sous ce toit. Mais il ne dit rien, voyant que la jeune demoiselle brûlait de poser une seconde question. Please do, young lady. Et cette fois, un sourire amusé ourle les lèvres du jeune père. Keith ricane dans son coin, sans que Murchadh ne le réprimande d'aucune sorte – à peine un geste lui signifiant qu'il devait terminer ses devoirs. « I am, aye.1 » répond-t-il alors, se tournant vers son fils pour retourner s'installer vers lui. Roh, Murchadh, et les bonnes manières ? On n'offre rien à boire à Mademoiselle ? … Il faut croire que non. Monsieur a épuisé son stock de bonnes manières pour la journée.
Il tire une chaise, invite la jeune fille à s'asseoir d'un geste – et là, on ressent toute l'étendue de sa loquacité – et veille à ce que le gamin poursuive son travail scolaire. « I am sort of a family-frrriend. » explique-t-il enfin à la première question. « I needed somewhere tae settle for a while, and the Prescotts offered me tae stay with'em as long as I needed. As we needed, by the way.2 » Il ne tombe pas dans les détails superflus – comment était-il devenu un ami de la famille, pourquoi avait-il besoin de s'installer ici, le fait que le sens de sa phrase sous-entendait une vie nomade – et se contente de ponctuer le tout d'un sourire calme. Keith a un mouvement un peu brusque, à côté de lui ; les yeux verts se posent fugacement sur lui, puis sur son cahier, avisent la rature qui défigure la page. Il fronce les sourcils, mais le petit garçon a tôt fait de corriger son erreur : il barre tout proprement et reprend son exercice depuis le début. Le sourire du père s'élargit, avant qu'il ne se tourne de nouveau vers Joy, curieux : « What about ye ? How long have you been knowing the Prescotts?3 » On notera la déformation grammaticale typique des nations gaéliques, avec la proéminence des formes progressives là où elles n'ont pas lieu d'être. Rien de bien méchant en soit, mais souvent surprenant quand on n'était pas habitué à côtoyer les membres de ces fières nations. _________________________________ 1En effet. 2Je suis un ami de la famille, en quelque sorte. Il fallait que je me pose pour quelques temps, et les Prescott m'ont proposé de rester avec eux le temps que j'en avais besoin. Que nous en avion besoin, d'ailleurs. 3Et vous ? Depuis combien de temps connaissez-vous les Prescott ?
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Sujet: Re: la fascination de la naïveté + (Murchadh) Mar 9 Juil - 23:48
Tellement habituée à entendre Luke parler de «Tim», j’en avais oublié qu’ici, le jeune homme, grand frère d’Anaëlle, se faisait appeler Eoghan, préférant user son deuxième prénom plutôt que l’originel (un peu comme moi, qui n’avait jamais trop apprécié le «Dorothy» dont ma mère m’avait affublé, préférant garder tout simplement le «Joy» qui m’était destiné à la base. Mais les «r» accentués m’avaient laissé plus perplexe que l’âge de mon interlocuteur, et c’est tout naturellement que j’en vins à lui poser la question suivante, ce qui déclencha un sourire visiblement amusé sur les lèvres du jeune homme. «I am, aye» Je souris, soulagée, et également fière d’avoir bien deviné (bon, je n’avais pas beaucoup de mérite... c’était plus de la logique qu’autre chose), et me laissais tomber sur la chaise que le jeune homme m’avait indiqué d’un geste, en le remerciant d’un geste de la tête. Je croisais les jambes sous moi, assise en indienne, et ramenait mon genoux droit contre ma poitrine, l’entourant de mes bras, appuyant mon menton sur mon genoux. Ce n’était sans doute pas la façon convenable de s’installer sur une chaise, mais j’attendais Anaëlle... Et non la reine d’Angleterre, elle ne s’offusquerait sans doute pas trop. Elle devait être habituée, maintenant. «I am sort of a family-frrriend. I needed somewhere tae settle for a while, and the Prescotts offered me tae stay with’em as long as I needed. As we needed, by the way.» Je baissais les yeux vers le jeune garçon, penché sur ses cahiers avec une concentration bien plus importante que la mienne lorsque j’étais moi-même penchée sur mes cahiers, il y a quelques années de cela. J’avais du mal à rester concentrée plus de trente minutes, et j’avais tout le temps besoin de faire des pauses pour me dégourdir les jambes. Je hochais doucement la tête, comprenant où il voulait en venir (c’est pas parce qu’on vient du countryside qu’on est stupide). «C’est sympa de leur part ! Vous étiez déjà venu en Amérique auparavant ?» C’était un long trajet, de l’Écosse à la Nouvelle Orléans. Bien plus long que de l’Oklahoma à la Louisiane, par exemple. Sans doute plus long que ceux que je ferais jamais de ma vie, malheureusement, car il faut de l’argent, pour voyager, et ça, je n’en avais pas. Même si je mettais de côté la plupart des quelques dollars que je gagnais à servir des clients chaque soir et chaque nuit au Blue Note, il m’en faudrait des années, avant de pouvoir partir en vadrouille ! «What about ye ? How long have you been knowing the Prescotts ?» Je baissais les yeux sur mes doigts, les abaissants pour faire le compte, comme si mes doigts courraient sur les touches d’un piano «Ça fait... cinq mois maintenant ! Presque six.» Son accent, et sa façon de parler, avaient quelque chose... de fascinant. Je n’dirais pas exotique, parce que l’Europe, ce n’est pas le Brésil, mais... oui. Fascinant.
«En fait, je suis arrivée à la Nouvelle Orléans en janvier.» Donc, oui, ça faisait bien une demi année. Ça me paraissait tellement plus long... «Mon meilleur ami vivait ici, et puis, il est décédé, alors, bah, voilà.» Je fis un geste vague de la main, avant de revenir la poser sur mon tibias, le menton toujours sur le genoux. «Je n’avais jamais quitté Checotah avant ça.» Je relevais la tête, consciente que la (quasi) totalité des américains, et la totalité du reste du monde, n’avaient jamais entendu parler de cette ville. «C’est une p’tite ville dans l’Oklahoma. C’est au dessus du Texas...» Si les Américains avaient tendance à penser que l’Europe était un pays, les Européens eux, avaient tendance à savoir situer la Californie, la Floride, le Texas, et New-York sur une carte (et encore, parfois, certains pensent que Las Vegas, c’est en Californie...), et c’était une information que je préférais donner de manière totalement détachée, juste au cas où. «J’ai toujours voulu visiter l’Écosse ! J’ai vu Highlander quand j’étais petite, je crois que ça y est pour beaucoup...» Je laissais échapper un petit rire. Nous n’avions pas de télévision, tout juste un cinéma qui avait réouvert en 2008, possédant deux salles, une de 132 sièges, et une de 32, avant de fermer, malheureusement pour nous, l’année suivante. Et rouler jusqu’à la ville voisine pour voir un mauvais film en mangeant du mauvais pop corn, ça n’avait jamais été mon envie du samedi soir, je préférais aller galoper sous la lune avec Luke, Oscar et Storm.
Je tournais la tête, pour observer le visage de l’enfant, toujours penché sur son cahier. «Oh, je ne vous ai même pas demandé comment vous vous appelez !» Remarque lancée en l’air, alors que j’avais vu les premières lettres du prénom de l’enfant inscrites sur son cahier (me rappelant l’application que mettaient Kate et Lindsey à calligraphier leur nom sur leurs livres, alors que moi, je me contentais d’inscrire les trois lettres de mon prénom d’usage, sans me soucier de l’esthétique du geste). Il fallait me pardonner, j’étais plutôt tête en l’air, ce matin. Et puis, même. Généralement, j’avais tendance à engager la conversation avec les gens, sans même leur demander leur prénom auparavant. Une vieille habitude qui avait la vie dure. C’est qu’à Checotah, tout el monde connaissait tout le monde, vous comprenez...
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Sujet: Re: la fascination de la naïveté + (Murchadh)